Friday, August 17, 2007

La vitesse du Rocket dans toute sa lenteur


Le deuxième épisode de la série intitulée les Freedom Fries se veut une petite réflexion sur le film, The Rocket, réalisé par Charles Binamé, et qui a su faire apparition triomphale à l'hiver 2005 sur les écrans de cinéma du Québec et dans le reste du Canada.


Curieux de soudainement ressentir le besoin de s'exprimer sur ce film sur la vie de Maurice Richard. Voilà près de deux ans maintenant que le long métrage a fait son entrée en matière. Pour l'heure, il ne fait plus partie de la conversation. Mais à jamais, il fera partie d'une conscience collective. C'est dans cet attrait foncièrement culturel que réside toute la splendeur de cette histoire. Le film récite la vie d'un peuple à travers celle de l'idole et par l'entremise du sport qui fait rugir le Québec, tantôt de rage, tantôt de délectation.


J'ai revu le film The Rocket il y a deux semaines. Je venais tout juste de finir le spectaculaire Aurore qui m'avait infligé une telle rétractation, un tel serrement à la poitrine que j'en réclamais un soulagement. Ce relâchement inattendu, j'ai momentanément cru le retrouver dans l'histoire du Rocket. Mais n'allons pas trop vite, car les deux films qui se distinguent par le thème, se rejoignent sur la fibre.


Cette toile de fond devant laquelle s'anime ce récit du 9 vient extraire cette même impression vivement émotive chez le spectateur qui ressent une certaine pesanteur, une pesanteur assagissant le film tout en lui attribuant une lenteur presque accablante. Pourquoi? À cause de la lutte. La lutte des francophones vers une émancipation avant la Révolution tranquille. La difficulté d'en arriver à un changement décisif. Les barrières qui semblaient infranchissables et qui répandent cet air de frustration. C'est le même sentiment perçu à un niveau, bien entendu, bien plus aigu qui nous déchire dans le film sur la petite Aurore, cette impossibilité de percer et de faire chuter les obstacles.


La couleur des deux métrages se ressemble, filmés dans une sombre texture, un contour de noirceur qui suit les films dans toutes leurs scènes. Même au Forum, la patinoire semble terne et triste. À l'usine, Richard se donne à son travail de jour dans des conditions difficiles; il semble travailler dans une noirceur isolante. Le film sur le Rocket ne se prête pas aux scénarios typiques qui étampent les films sur le sport de grands clichés. Il n'y a pas de but compté au ralenti défiant les dernières secondes qui s'écoulent au cadran. Nous ne voyons jamais le grand match qui se solde en championnat, malgré les nombreuses occasions de nous en montrer ne serait-ce qu'un seul, vu les multiples conquêtes de la Coupe du Rocket. Les 5 Coupes Stanley d'affilées ne figurent même pas dans le portrait; elles ne seront abordées qu'en épilogue, dans un petit texte explicatif résumant le reste (?) de la carrière de Richard. Le succès dans toute son humilité, dans toute sa modestie.


Le film veut nous expliquer que le drame, le véritable drame de cette histoire, se cache dans le quotidien de Maurice Richard. Inutile de recourir aux tactiques de Spielberg, aux grands traits. C'est la petite ponctuation de l'histoire, dans la délicatesse de ses mouvements qui nous saisit. Dans les gestes d'un peuple encore timide, encore incertain de sa façon de trouver sa place mais certain de son désir de la prendre. Le joueur devant la Ligue, le francophone et l'anglophone, le pauvre face au bourgeois dans une référence qui rappelle la ségrégation imposée à bord du Titanic, si bien illustrée dans le Rocket par cette clôture qui séparait la foule au Forum, pourtant réunie par les mêmes passions et désirs.


C'est un film qui ne cesse d'impressionner car il raconte tant d'histoires à la fois, toutes vraies, toutes importantes. La vie de Maurice Richard s'est mue en parallèle à l'éclosion du peuple québécois, à l'image ou même possiblement à la remorque de cette émancipation (en fait, qui réellement était à la remorque de qui?...). Le Rocket pour tout amateur de ce sport est irrésistible. C'est un atout qui tendait un piège indéniable à tout metteur en scène potentiel; raconter l'histoire d'un grand sur des tons de grandeur. Ça aurait été faux. Le film comprend le rythme du Rocket et de l'époque. Il fallait raconter cette histoire d'un grand à travers ses petites enjambées subtiles, à travers ses émotions complexes et confuses, à travers toutes les hésitations que le Rocket a finalement su faire basculer pour se manifester en force dans une province qui n'aura pu réagir autrement que de suivre sa cadence.

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